Quotidiens régionaux : les nouveaux empires

Publié le par lebramentombe

Depuis trois ans, une vingtaine de quotidiens régionaux - un tiers du secteur de la presse quotidienne régionale (PQR) - ont changé de mains. Ce mouvement a touché des titres qui régnaient depuis longtemps sur une région, tels La Voix du Nord (Lille), Le Progrès (Lyon) ou Le Courrier de l'Ouest (Angers), et redistribué les cartes. "Entre 750 et 800 millions d'euros ont été investis dans la PQR ces dernières années", affirme Jean-Clément Texier, banquier spécialiste des média

C'est la vente de la dizaine de quotidiens régionaux de la Socpresse (ex-Groupe Hersant) à Serge Dassault, en juin 2004, qui a donné le la. Lagardère s'est aussi mis de la partie : il a revendu en août, pour 160 millions d'euros, ses journaux du Sud (Nice-Matin, Var-Matin, La Provence et Corse-Matin) au Groupe Hersant Média (GHM, ex-France-Antilles), dont le premier actionnaire est Philippe Hersant, fils de Robert Hersant, décédé. Le Groupe Le Monde s'est également dégagé de son activité dans la PQR afin de se désendetter : le Groupe Sud Ouest (GSO) devrait racheter les journaux du Midi (Midi libre, L'Indépendant...) pour 90 millions d'euros. GSO, qui a créé par ailleurs un groupement d'intérêt économique baptisé Média Sud-Europe avec La Dépêche du Midi (Toulouse), pourrait ensuite céder 50 % des actions au groupe toulousain. Un pôle Bordeaux-Toulouse-Montpellier serait ainsi créé, fort de 850 000 exemplaires et 4 500 personnes. Il occuperait la troisième place de la PQR, derrière SIPA Ouest-France, et surtout le nouveau leader en diffusion, l'ensemble de L'Est républicain (Nancy) et du Crédit mutuel.

Le Groupe Ouest-France, qui édite le premier quotidien français, a renforcé sa position fin 2005 en acquérant le pôle Ouest de la Socpresse (Le Courrier de l'Ouest, Le Maine libre...). Le Groupe Est Républicain, lui, a racheté en février 2006 le pôle Rhône-Alpes de la Socpresse (Le Progrès, Le Dauphiné...). Il a créé Est Bourgogne Rhône-Alpes (EBRA), société détenue à 51 % par L'Est républicain et à 49 % par le Crédit mutuel, qui contrôle L'Alsace (Mulhouse), mais aussi Le Républicain lorrain (Metz) et Les Dernières Nouvelles d'Alsace (Strasbourg). EBRA, dirigé par Gérard Lignac, 79 ans, est ainsi devenu le premier groupe de PQR.

D'autres regroupements sont en cours. Trois groupes indépendants, La Montagne, la Nouvelle République du Centre-Ouest (NRCO) et La République du Centre viennent de créer, via des échanges de participations, une structure commune, Grand Centre (600 000 exemplaires diffusés dans 17 départements). "La proximité géographique plaide pour ce rapprochement de trois groupes indépendants, à identité et culture semblables", explique Jacques Camus, directeur général de La République du Centre. Pour l'instant, les européens sont restés en dehors du jeu : seul le belge Rossel a mis la main en 2005 sur La Voix du Nord (Lille) et Nord-Eclair (Roubaix), eux aussi anciens fiefs de l'empire Hersant.

"DÉPERDITION DE SUBSTANCE"

"La filière est en crise. Si on ne fait pas ces regroupements, on va tous disparaître", assure Jean-Michel Baylet, président du Groupe La Dépêche. "Ces regroupements ont une cohérence géographique et économique. Avant, la taille raisonnable était de 200 000 exemplaires. Aujourd'hui, c'est plutôt 600 000", souligne Michel Comboul, président du SPQR et président du Groupe Nice-Matin. Confrontée à la concurrence d'Internet et des gratuits, la PQR doit aussi, comme la presse quotidienne nationale, faire face à la baisse de la publicité extra-locale. Ces regroupements s'expliquent par la nécessité de réaliser des économies en rationalisant les coûts d'impression, des achats, de la distribution, et en créant des synergies publicitaires. Parfois au prix de vastes plans de restructuration.

Le mouvement oblige tous les acteurs à repenser leur stratégie. "Ceux qui ont pu mener des restructurations sont ceux qui ont misé sur la presse gratuite", souligne Jean-Clément Texier. Comme SIPA Ouest-France, qui possède le groupe de presse gratuite Spir, Sud-Ouest avec S3G ou GHM avec la Comareg (Paru vendu...). Certains misent sur d'autres solutions, comme Le Télégramme (Morlaix), dont la diffusion ne cesse d'augmenter et qui se diversifie avec Regionsjob, site Internet d'offres d'emploi...

"La constitution de ces groupes est inachevée. Ces nouveaux champions ont-ils les structures juridiques adéquates et les moyens financiers suffisants à leur développement ?", questionne M. Texier. Pour se mettre à l'abri des spéculateurs, Ouest-France a bâti en 1990 un modèle actionnarial unique : sa holding, SIPA, est détenue par une association loi 1901, l'Association pour le soutien des principes de la démocratie humaniste. Pourtant, François-Régis Hutin, PDG du groupe SIPA Ouest-France, a une vision assez pessimiste : "C'est un désastre : des titres comme Le Progrès, Le Dauphiné, Midi libre, Le Républicain lorrain, avec une politique éditoriale claire et une forte identité, sont aujourd'hui fondus dans des groupes, avec un risque de déperdition de substance. Ces groupes vont-ils les redynamiser, commercialement et sur le plan de la qualité de l'information, du service au lecteur ? Je l'espère..."

L'existence de ces groupes est liée à des hommes. Se pose donc la question de la succession de deux figures, François-Régis Hutin (SIPA Ouest-France) et Gérard Lignac (EBRA). Certains groupes n'ont pas terminé leur expansion comme GHM, dont les deux premiers actionnaires sont Philippe Hersant et Aude Ruettard, petite-fille de Robert Hersant. "Tous les groupes de presse situés à la frontière de nos titres pourraient nous intéresser (La Voix du Nord, Le Dauphiné libéré) s'ils venaient à bouger dans les années à venir", indique Frédéric Aurand, président du directoire de GHM. Autant d'éléments laissant penser que les grandes manoeuvres ne sont pas finies.

Pascale Santi – LeMonde.fr

Article paru dans l'édition du 14.11.07

 

Publié dans presse4243

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